CHAPITRE DEUX

 

 

— Amenez-moi donc nos frères, s’écria l’abbé Radulphe, se levant de son bureau, à la fois surpris et inquiet, quand Cadfael lui eut appris leur arrivée et raconté en gros leur histoire.

Il écarta plume et parchemin, et se redressa de toute sa hauteur, l’air sombre, se détachant à contre-jour du soleil qui brillait par la fenêtre du parloir.

— Et dire que pareilles choses se produisent ! La cité et l’église détruites ! Bien sûr qu’ils sont les bienvenus, jusqu’à leur dernier jour s’il le faut. Faites-les entrer, Cadfael. Et restez avec nous. Vous pourrez leur servir de guide par la suite et les conduire auprès du prieur Robert. Il faut leur trouver une place convenable au dortoir.

Cadfael s’exécuta, tout content de n’être pas renvoyé à ses occupations et, traversant toute la grande cour, il conduisit les nouveaux venus vers le coin où étaient situés les appartements de l’abbé, à l’abri de leur petit jardin. Il avait hâte de savoir, de la bouche des voyageurs, comment se présentait la situation dans le Sud, et Hugh aussi sans doute, quand il apprendrait la venue de témoins. Car, naguère encore, les nouvelles mettaient un temps considérable à parvenir jusqu’ici ; cette situation pourrait changer très nettement là-bas à Winchester maintenant que les malheureux moines de Hyde étaient contraints de s’éparpiller pour chercher refuge.

— Père abbé, voici frère Humilis et frère Fidelis.

Il y avait tant de lumière dehors qu’il faisait presque sombre dans le petit parloir avec ses boiseries, et les deux hommes, grands et majestueux, restèrent à s’étudier attentivement dans la pénombre tiède et calme. Radulphe avait lui-même avancé des tabourets pour les nouveaux arrivants qu’il invita à s’asseoir d’un geste de sa longue main ; le plus jeune toutefois se retira, déférent, dans un coin sombre et demeura debout. Sa condition de muet lui interdisait de jouer les porte-parole, ce qui expliquait son effacement volontaire. Mais Radulphe, qui n’était pas encore au courant de l’infirmité du jeune homme, remarqua son geste, et l’enregistra sans marquer ni approbation ni désapprobation.

— Soyez les bienvenus dans notre maison, mes frères, et soyez assurés que nous vous donnerons tout ce dont vous avez besoin. On me dit que vous êtes restés longtemps en selle et qu’un triste événement vous a chassés de chez vous. Je suis navré pour nos frères de Hyde. Mais ici au moins, nous espérons vous offrir la tranquillité d’esprit et un abri sûr. Nous avons eu de la chance pendant ces guerres désastreuses. Vous êtes l’aîné, frère Humilis ?

— Oui, père. Et voici les lettres de notre prieur, qui nous recommandent à votre bonté.

Il les sortit de la poche de poitrine de son habit où elles étaient rangées, tendit le bras et les déposa sur le bureau de l’abbé.

— Vous n’ignorez pas, père, que depuis deux ans Hyde est une abbaye sans abbé. Le bruit a couru que monseigneur Henri comptait bien se l’approprier et la transformer en couvent épiscopal, ce à quoi nos frères se sont fermement opposés. Nous priver d’un chef constituait sans doute une démarche destinée à nous affaiblir en nous empêchant de nous exprimer. Maintenant c’est sans importance, car il ne demeure rien de la maison de Hyde, à part quelques ruines noircies par l’incendie.

— C’est tout ce qui subsiste ? s’étonna Radulphe, les mains jointes et les sourcils foncés.

— Oui. Plus tard, peut-être, édifiera-t-on une nouvelle maison. De l’ancienne, il ne reste pas pierre sur pierre.

— Apprenez-nous donc tout ce que vous savez, murmura l’abbé avec lassitude. Nous vivons ici bien loin de tous ces événements, en paix pour ainsi dire. Comment cet holocauste s’est-il produit ?

Frère Humilis – quel nom avait-il bien pu porter en toute fierté avant de décider sereinement de faire vœu d’humilité ? – posa ses mains jointes sur ses genoux et fixa sur l’abbé ses yeux creux. Il avait la trace d’une cicatrice, toute pâle et guérie depuis longtemps, sur le côté gauche de la tonsure. Cadfael la remarqua et reconnut la marque d’un coup porté par un droitier. Il n’en fut pas surpris. Il ne s’agissait pas d’une lame droite comme on en utilise en Occident, mais d’un cimeterre seldjoukide. C’était donc là que l’homme avait acquis ce hâle maintenant à demi effacé et qui avait pris une teinte maladive.

— L’impératrice est entrée à Winchester vers la fin de juillet, je ne me rappelle pas la date exacte, et elle s’est installée au château royal près de la porte ouest. Elle a adressé un message à monseigneur Henri dans son palais lui demandant de se rendre auprès d’elle ; il lui aurait répondu qu’il n’y manquerait pas, mais qu’il avait besoin d’un peu de temps. J’ignore quelle excuse il a bien pu alléguer. Il a un peu trop tardé, mais à en juger par ce qui s’est passé, il a mis à profit la période de répit qu’on lui avait laissé, si bien que l’impératrice, perdant patience, a envoyé ses troupes contre lui. Il se trouvait en sécurité dans son château neuf de Wolvesey, dans le quartier sud-est de la cité, appuyé aux remparts. La reine, de son côté, du moins c’est ce qu’on a dit en ville, a envoyé ses Flamands en toute hâte pour lui prêter main-forte. Quoi qu’il en soit, il avait avec lui une garnison puissante, bien équipée. Je demande pardon à Dieu et à vous, père, ajouta doucement frère Humilis, de m’être ainsi attardé sur tous ces préparatifs militaires, mais j’ai jadis porté les armes, c’est un souvenir qui ne s’oublie pas facilement.

— Dieu veuille que nul n’éprouve le besoin d’oublier le moindre de ses actes accomplis de bonne foi et en toute loyauté, dit Radulphe. Qu’il s’agisse de service armé ou religieux, nous avons tous des devoirs envers ce pays et son peuple. Se boucher les yeux ne saurait être d’une grande utilité à l’un ni à l’autre. Continuez ! Qui a ouvert les hostilités ?

Car enfin, monseigneur Henri et l’impératrice étaient encore alliés quelques semaines auparavant !

— L’impératrice. Elle a fait mouvement pour encercler Wolvesey dès qu’elle a su qu’il s’y était enfermé. Tout ce que ses hommes avaient, ils l’ont utilisé contre le château, et même des engins qu’ils ont trouvé le moyen de mettre sur pied. Et ils ont abattu bâtiments, boutiques, maisons, tout ce qui était trop près, pour dégager le terrain. Mais l’évêque avait une garnison nombreuse et ses murs sont neufs. J’ai entendu dire qu’il avait commencé à édifier son château voici une dizaine d’années. Ce sont ses hommes qui ont commencé à jouer avec le feu. Une bonne partie de la cité intra-muros a brûlé, des églises aux boutiques en passant par un couvent ; et ça n’aurait pas pris de telles proportions si l’été n’avait pas été aussi chaud ni aussi sec.

— Et Hyde Mead ?

— Impossible de savoir d’où sont parties les premières flèches qui l’ont incendié. A ce moment, les combats avaient gagné l’extérieur des remparts, et il y a eu des pillages, comme toujours. Nous avons lutté contre le feu aussi longtemps que possible, mais il n’y avait personne pour nous aider, et l’incendie était trop violent ; nous n’avons pas pu le maîtriser. Notre prieur nous a ordonné de nous chercher un asile à la campagne ; nous avons obéi. Moins nombreux qu’au départ, murmura-t-il, nous avons eu des morts.

Oui, il y a toujours des morts, en général parmi les innocents incapables de se défendre. Les sourcils froncés, Radulphe fixa ses mains réunies en coupe, et réfléchit.

— Le prieur était vivant, puisqu’il a pu écrire. Où est-il à présent ?

— En sécurité, dans le manoir d’un parent, à quelques milles de la cité. Il nous a donné l’ordre de partir, et de nous disperser là où nous aurions le plus de chance de trouver un abri. Je lui ai demandé s’il m’autorisait à venir me réfugier ici, en compagnie de frère Fidelis. Et nous voici, nous nous remettons entre vos mains.

— Pourquoi ? s’enquit l’abbé. Vous êtes les bienvenus, naturellement, je voudrais simplement savoir pourquoi ici ?

— Eh bien, père, à un ou deux milles en amont, il y a un manoir appelé Salton. C’est là que j’ai vu le jour. L’envie m’est venue de revoir cet endroit, tout au moins de m’en rapprocher, avant de mourir, répondit Humilis, adressant un sourire au regard pénétrant qui le dévisageait. C’est la seule propriété que possédait mon père en ce comté. Le hasard m’y a fait naître. Il est bien naturel à un homme chassé de sa dernière demeure de se tourner vers la première.

— Vous dites vrai. Dans la mesure du possible, nous tiendrons lieu de cette demeure. Mais... et votre jeune frère ?

Fidelis rejeta sa capuche sur sa nuque, inclina respectueusement la tête et eut un petit geste des mains en signe de soumission, sans émettre un seul son.

— Comme il est incapable de le faire lui-même, je vous remercie pour nous deux. Ma santé n’a guère été florissante à Hyde et frère Fidelis, par pure bonté d’âme, est devenu mon ami et mon serviteur fidèle. N’ayant pas de famille vers qui se tourner, il a choisi de rester à mes côtés et de veiller sur moi comme avant. Avec votre permission.

Il attendit un signe de tête et un sourire d’approbation avant de poursuivre.

— Frère Fidelis servira Dieu ici, par tous les moyens dont il dispose. Je le connais et je réponds de lui. Il n’a qu’un handicap : la voix lui manque. Oui, frère Fidelis est muet.

— Il n’en est pas moins le bienvenu, affirma Radulphe, même s’il ne peut prier à voix haute. Son silence sera peut-être plus éloquent que nos paroles.

S’il avait été surpris, il s’était dominé si vite qu’il n’en manifesta rien. Ce n’était pas demain la veille qu’on verrait l’abbé Radulphe déconcerté.

— Après ce voyage, dit-il, vous devez être fatigués tous deux et encore sous le choc ; il faut qu’on vous trouve un lit, un endroit bien à vous, et du travail. Maintenant je vous confie à Cadfael ; il vous conduira auprès du prieur Robert et vous montrera toute la clôture, le dortoir, le réfectoire, les jardins et l’herbarium, son domaine d’élection. Il vous procurera des rafraîchissements et un endroit pour vous reposer, car c’est cela dont vous avez besoin. A vêpres, vous vous joindrez à nous pour la prière.

La nouvelle de l’arrivée de ces gens du Sud poussa Hugh Beringar à venir en toute hâte s’entretenir d’abord avec l’abbé puis avec frère Humilis, qui recommença volontiers son récit. Quand il lui eut soutiré tout ce qu’il pouvait, Hugh alla rejoindre Cadfael dans le jardin aux simples, où il était en plein arrosage. Il restait encore une heure avant vêpres ; c’était le moment où le travail touchait à sa fin et même un jardinier avait bien le droit de se détendre, de se reposer un bout de temps à l’ombre. Cadfael mit son arrosoir de côté, abandonnant ses plates-bandes au soleil jusqu’à ce que tombe la fraîcheur du soir et s’installa près de son ami sur le banc au pied du haut mur sud.

— La situation vous laisse donc un moment de répit, remarqua Cadfael. C’est déjà ça. Pendant qu’ils ne songent qu’à en découdre, ils vous oublient. Quel dommage cependant que la guerre soit tombée sur les citadins, les moines et ces pauvres nonnes ! Mais c’est la vie, je suppose. La reine et ses Flamands doivent être dans la ville à l’heure qu’il est ou peu s’en faut. Que va-t-il se passer maintenant ? Les assiégeants pourraient bien se retrouver assiégés eux-mêmes.

— Ça ne serait pas la première fois, admit Hugh. L’évêque a été informé qu’il vaudrait mieux ne pas laisser vide son garde-manger, mais elle a peut-être pris ses désirs pour des réalités. Si je commandais les armées de la reine, je prendrais tout mon temps pour interdire les routes menant à Winchester et je m’assurerais qu’aucune nourriture ne puisse y entrer. Bon, nous verrons. A ce qu’il paraît, vous êtes le premier à avoir parlé à ces deux moines de Hyde.

— Ils m’ont rattrapé sur la Première Enceinte. Quelle opinion avez-vous d’eux, vous qui vous êtes attardé en leur compagnie ?

— Que voulez-vous que je vous dise, comme ça, au premier abord ? Un malade et un muet. Et vous ? Qu’en pensent vos frères ?

Hugh observait attentivement le visage camus, endormi, secret de son vieil ami, dans la chaleur de cette fin d’après-midi, visage qui ne lui restait jamais complètement indéchiffrable.

— Le plus âgé est manifestement noble, poursuivit-il. Il est malade aussi. Je suppose qu’il a été soldat, j’ai cru remarquer de vieilles blessures. Vous avez vu qu’il marche un peu en crabe, avec une faiblesse dans le côté gauche. Quelque chose qui ne s’est jamais complètement guéri. Quant au jeune... je comprends sans peine qu’il soit tombé sous le charme d’un tel homme et qu’il l’idolâtre. C’est heureux pour tous les deux ! Il a un protecteur puissant, et le maître a un infirmier dévoué. Mais j’attends votre verdict, insista Hugh, le défiant de trouver mieux, avec un sourire confiant.

— Vous n’avez pas encore deviné le nom de notre nouvelle recrue ! Peut-être ne vous a-t-on pas tout dit, reconnut Cadfael, tolérant, car je l’ai appris presque par hasard. Un passé militaire, oui, il l’a avoué, mais vous vous en seriez rendu compte. Pour moi, cet homme a quarante-cinq ans bien sonnés et ses cicatrices sont visibles. Il dit aussi être né ici, à Salton, qui appartenait alors à son père. Il a aussi une cicatrice sur la tête, que révèle la tonsure, blessure causée par un cimeterre seldjoukide il y a quelques années. Une simple coupure, complètement refermée, mais qui ne passe pas inaperçue. Dans le temps, le domaine de Salton relevait de l’évêque de Chester qui l’accorda à l’église de Saint-Chad ici, intra-muros. Elle l’a depuis des années cédé à une famille noble, les Marescot. A présent, un régisseur s’en occupe, précisa-t-il, ouvrant calmement un œil brun sous des sourcils fournis aux couleurs de l’automne. Frère Humilis est un Marescot. A ma connaissance, il n’y a pas trente-six Marescot de cet âge qui soient partis à la croisade, il y a seize ou dix-sept ans. J’étais un tout jeune moine, à l’époque, une partie de moi demeurait là-bas, et j’avais toujours un œil sur ceux dont on disait qu’ils avaient pris la croix. Aussi naïfs et enthousiastes que je l’avais été, certes, et se préparant, comme moi, à une belle désillusion, mais leur initiative ne manquait pas de pureté. Il y avait un certain Godfrid Marescot qui avait emmené avec lui une soixantaine d’hommes de ses propres terres. Il jouissait d’une réputation incontestée de courage.

— Vous croyez que c’est lui ? Dans cet état ?

— Pourquoi non ? Les grands peuvent être blessés aussi gravement que les humbles. D’autant plus s’ils marchent en tête de la troupe et non pas derrière, déclara Cadfael. On disait de celui-là qu’il ne cédait jamais sa place de premier.

Son sang de croisé bouillonnait encore dans ses veines ; il ne pouvait s’empêcher de le manifester à chaque occasion, même si la réalité avait refroidi ses rêves et ses espoirs depuis toutes ces années. D’autres aussi n’avaient écouté que leur foi, et s’étaient comme lui détournés en frissonnant d’une grande partie de ce qui se commettait au nom de cette même foi.

— Je suis sûr que Robert parcourt en ce moment même l’histoire des seigneurs de Salton, murmura Cadfael, et il ne manquera pas d’y trouver son homme. Il connaît l’arbre généalogique de tous les nobles de ce comté et au-delà, depuis trente ans et plus. Frère Humilis n’aura aucun mal à s’établir ici, sa seule présence répand son lustre parmi nous, il n’a nul besoin de mérites supplémentaires.

— Cela tombe bien, constata Hugh avec un sourire en coin, car je crains qu’il ne soit plus physiquement capable de grand-chose, sauf peut-être à mourir ici et à y être enterré. Entre nous, vous vous y connaissez mieux que moi en matière de maladies mortelles, cet homme a déjà un pied dans la tombe. Ce n’est pas pour demain, mais l’issue me paraît évidente.

— C’est aussi vrai pour vous et moi, objecta sèchement Cadfael. Quand au temps qui lui reste, ni vous ni moi n’en connaissons la durée. Il arrivera ce qui arrivera. Jusque-là, chaque jour compte, le premier pas moins que le dernier.

— Amen ! s’exclama Hugh, qui sourit sans remords. Mais vous aurez à vous occuper de lui d’ici peu. Et son protégé – le petit muet ?

— Rien de rien. Que du silence, et il se fond dans l’ombre. Laissez-nous du temps, et nous apprendrons à le connaître mieux.

 

Celui qui a renoncé à posséder quoi que ce soit peut se déplacer sans peine d’une maison à l’autre, s’y sentir autant chez lui et se passer de tout aussi aisément à Shrewsbury qu’à Hyde Mead.

Un homme ayant revêtu la robe de ceux qui sont soumis à la même discipline n’a nul besoin qu’on le remarque pendant plus d’une journée. Frère Humilis et frère Fidelis reprirent ici, dans les terres du milieu, le rythme qu’ils avaient adopté dans le Sud et le déroulement de la journée leur procura la même sérénité réconfortante. Le prieur, toutefois, avait mis fin, d’une façon satisfaisante, à ses cogitations sur les tenures féodales et la généalogie des familles du comté, et il s’empressa d’informer tout le monde, par l’intermédiaire de son dévoué factotum frère Jérôme, que l’abbaye avait acquis une recrue de choix, un croisé à la réputation notoire, qui s’était fait un nom dans les combats récents contre Zenghi, le dangereux atabek de Mossoul qui constituait la menace la plus grave pour le royaume de Jérusalem.

Ce brave prieur n’avait d’ambition personnelle qu’à l’intérieur du monastère, malgré cela il ne manquait jamais de s’intéresser aux fortunes changeantes du monde extérieur. Quatre ans auparavant, Jérusalem avait été profondément ébranlé par la défaite que ce même Zenghi avait infligé au roi, mais le royaume avait survécu en s’alliant à l’émirat de Damas. Au cours de cette bataille malheureuse, Godfrid Marescot avait joué un rôle héroïque.

— Il a assisté à tous les offices et travaillé ferme pendant chacune des heures réservées au travail, affirma frère Edmond, l’infirmier, regardant le nouveau moine traverser lentement la cour pour se rendre à complies dans la lumière radieuse et la tiédeur persistante de la soirée. Et il ne nous a jamais demandé de l’aide, ni à toi ni à moi. Mais je lui voudrais meilleure mine et un peu plus de chair sur les os. Son hâle s’efface, et il n’a plus guère de sang dans les veines.

Derrière son maître, son ombre fidèle suivait, jeune et souple, à grands pas glissés, prêt à avancer la main pour le prendre par le coude s’il chancelait, ou à enlacer son corps maigre s’il trébuchait ou tombait.

— Tiens, remarqua Cadfael, en voilà un qui sait tout et qui ne peut rien dire. D’ailleurs même s’il pouvait, il refuserait sans la permission de son maître. C’est le fils d’un de ses colons, tu ne crois pas ? Sûrement quelque chose dans ce goût-là. Ce garçon a été bien élevé et il est instruit. Il connaît le latin presque aussi bien que son maître.

A la réflexion, il pouvait sembler exagéré de considérer comme un maître quelqu’un qui avait pris le nom d’Humilis et avait renoncé au monde.

— Je me suis demandé s’il ne s’agissait pas d’un fils naturel, murmura Edmond, marquant une hésitation nuancée de respect. Je me fourre peut-être le doigt dans l’œil, mais c’est vraiment ce qui m’est venu à l’idée. Pour moi, Humilis est tout à fait du genre à aimer et protéger sa descendance, et si ce jeune homme l’aime et l’admire, c’est peut-être pour ça ou pour tout autre chose.

C’était en effet très possible. Il y avait entre ces deux hommes, tous deux de haute taille, une certaine ressemblance, jusque dans la netteté des traits, du moins, songea Cadfael, dans la mesure où on avait bien regardé ceux de frère Fidelis qui circulait dans la clôture avec tant de discrétion, s’efforçant patiemment de se repérer en ces lieux inconnus. Il avait perdu au change plus encore peut-être que son aîné, dont il ne possédait ni l’expérience ni la confiance en soi, car l’anxiété caractérise souvent la jeunesse. Il suivait partout son mentor et cette lumière directrice guidait tous ses mouvements. Ils partageaient un cabinet particulier du scriptorium, car il était évident que seule une activité sédentaire convenait à frère Humilis qui avait montré beaucoup de délicatesse en tant que copiste et d’adresse comme enlumineur. Et comme à la longue son travail devenait moins précis et que sa main manquait de fermeté dans les détails, l’abbé avait décrété que frère Fidelis resterait avec lui pour l’aider quand il aurait besoin qu’on le relaie. Une main était remplacée par une autre comme si c’était d’elle qu’elle apprenait le métier, à moins qu’il ne s’agisse simplement d’amour et d’émulation. A eux deux, ils accomplissaient une tâche un peu lente mais admirable.

— Je n’avais jamais pensé à quel point quelqu’un qui ne peut pas parler paraît différent et inaccessible, et comme il est difficile de l’atteindre, dit Edmond, réfléchissant à voix haute. Je me suis surpris à parler de lui à frère Humilis, alors que le garçon était tout près, et j’en ai eu honte – comme s’il était sourd et idiot. J’ai rougi devant lui. Mais comment peut-on entrer en contact avec ces gens-là ? C’est une expérience entièrement nouvelle pour moi, et qui me déroute.

— Moi aussi, tu sais, avoua Cadfael.

C’était vrai, il l’avait remarqué. Le silence (ou plus exactement la modération dans le discours) qu’ordonne la règle était une chose, celui qui entourait frère Fidelis en était une autre. Ceux qui devaient communiquer avec lui avaient tendance à se servir beaucoup de gestes plutôt que de mots, à moins de n’en utiliser aucun, comme pour refléter son silence. Comme si, en vérité, il n’entendait ni ne comprenait rien. Mais manifestement ça n’était pas le cas du tout, ses sens fonctionnaient à merveille, il avait l’oreille fine et réagissait au moindre bruit. Et cela aussi, c’était curieux. Le plus souvent, les muets étaient forcés de se taire parce qu’ils n’avaient jamais appris les sons et donc ne les utilisaient pas. Or ce jeune homme savait parfaitement lire et écrire et avait des rudiments de latin, ce qui témoignait d’un esprit bien plus vif que la moyenne. A moins, songea Cadfael, que cette infirmité ne soit relativement récente et qu’elle provienne d’une constriction des cordes vocales ou des muscles de la gorge. Et même s’il était muet de naissance, est-ce que cela n’aurait pas pu provenir de nerfs trop tendus sous la langue qu’on pourrait remettre en état en les exerçant ou libérer à la pointe d’un couteau ?

— Je me mêle de ce qui ne me regarde pas, se tança vertement Cadfael, renonçant à ces spéculations qui ne le menaient nulle part.

Et il se rendit à complies, plein d’une contrition inhabituelle ; par pénitence il s’imposa de rester silencieux tout le reste de la soirée.

Le lendemain, on ramassa des prunes d’un rouge profond juste avant qu’elles arrivent à maturité. On en mangerait certaines telles quelles, à peine cueillies, frère Petrus en mettrait d’autres à bouillir pour faire des conserves aussi épaisses et sombres que des gâteaux de pavots, les autres il les disposerait sur des claies dans un bâtiment spécial où elles se plisseraient et deviendraient donc comme de la guimauve. Cadfael avait quelques arbres dans un petit verger à l’intérieur de la clôture, alors que la plupart des arbres fruitiers se trouvaient dans les jardins principaux de la Gaye, ces riches prairies le long du fleuve. Les novices et les jeunes moines ramassaient les fruits ; les élèves et les oblats avaient la permission de les aider et si tout le monde savait que quelques prunes allaient sous les tuniques et non dans les paniers, Cadfael fermait les yeux tant que ces menus larcins se cantonnaient dans des limites raisonnables.

C’eût été beaucoup que de demander le silence par un aussi beau temps et avec une occupation si agréable. Les voix des enfants sonnaient joyeusement aux oreilles de Cadfael tandis qu’il décantait son vin à l’atelier, qu’il déambulait parmi ses plantes, qu’il sarclait et arrosait à l’ombre du mur. Oui, c’était un son bien agréable ! Il y a des voix qu’il reconnaissait, celles, légères et aiguës, des enfants, et l’infinie variété de celles de leurs aînés. Ce timbre chaud et clair appartenait à frère Rhunn, le plus jeune des novices ; il avait seize ans, et il n’avait été admis comme tel que depuis deux mois, mais n’avait pas encore reçu la tonsure au cas où il reviendrait sur sa décision impulsive de renoncer au monde qu’il connaissait à peine. Rhunn pourtant ne remettrait pas son choix en cause. Il était infirme en arrivant à l’abbaye pour la fête de sainte Winifred, il souffrait beaucoup et elle lui avait accordé la grâce de retrouver sa vigueur ainsi que l’usage de ses deux jambes. Depuis, il répandait comme une lumière sur tous ceux qui l’approchaient, comme sans doute maintenant sur son compagnon de travail le plus proche. Cadfael se dirigea vers le verger pour jeter un coup d’œil. Le garçon qui boitait bas jadis était installé, sûr de lui, parmi les branches et prenait les fruits avec tant d’adresse et de douceur qu’il en ternissait à peine l’éclat, puis il se penchait et les déposait dans le panier qu’un moinillon de haute taille tendait vers lui. Ce jeune homme tournait le dos à Cadfael et il ne le reconnut pas sur-le-champ, mais quand il contourna l’arbre pour mieux suivre Rhunn, il constata qu’il s’agissait de frère Fidelis.

C’était la première fois que Cadfael avait l’occasion de bien voir son visage, dans le soleil, sans la protection de la capuche. Apparemment Rhunn était de ceux au moins qui pouvaient approcher le muet sans difficulté ; il lui parlait gaiement et ne trouvait rien de gênant dans le silence de l’autre. Rhunn se pencha en riant, Fidelis, souriant, leva les yeux, la joie de l’un se reflétait sur le visage de l’autre. Leurs mains se touchèrent sur l’anse du panier que Rhunn balançait au bout de son bras tendu cependant que Fidelis cueillait une grappe de fruits, pas très haut, qu’on lui désignait depuis le faîte de l’arbre.

Après tout, songea Cadfael, il fallait s’attendre à ce que cette innocence teintée de courage parvînt à ces résultats là où la plupart d’entre nous hésitent à s’aventurer. Sans compter que, pendant la plus grande partie de sa vie, Rhunn avait souffert d’une infirmité qui le séparait des autres, mais ne lui inspirait aucune amertume. Quoi de plus naturel pour lui que de s’avancer sans crainte pour rompre l’isolement de quelqu’un d’autre ? C’était tout à son honneur, et grâce à Dieu les enfants ne manquent pas de courage !

Perdu dans ses pensées, il retourna à ses mauvaises herbes, gardant l’image de ce bref sourire radieux, chez quelqu’un qui d’ordinaire se cantonnait dans l’ombre. Un visage ovale, des traits nets, naturellement graves, un grand front, des pommettes hautes, une peau saine de la couleur de l’ivoire, douce et lisse. Là, dans le verger, il paraissait à peine plus âgé que Rhunn, et cependant ils avaient sûrement quelques années de différence. Le halo de cheveux bouclés autour de sa tonsure reflétait les couleurs de l’automne et tirait très nettement sur le roux sans flamboyer pour autant ; ses grands yeux légèrement écartés sous des sourcils fournis, presque droits, étaient d’un gris lumineux, du moins en plein soleil. C’était un jeune homme très avenant qui évoquait, en plus discret, le rayonnement de Rhunn, comme un mariage entre l’ombre et la lumière.

Les ramasseurs étaient toujours à l’œuvre, mais leur travail touchait à sa fin quand Cadfael reposa sa houe et son arrosoir et alla se préparer pour vêpres. La grande cour bruissait de l’agitation propre à la fin de l’après-midi ; les religieux revenaient de la Gaye où ils avaient travaillé, des gens arrivaient à l’hôtellerie et aux écuries, et dans le cloître résonnait le petit orgue portatif de frère Anselme, essayant un cantique nouveau. Enlumineurs et copistes allaient mettre la touche finale à leur ouvrage du jour, avant de nettoyer leurs plumes et leurs pinceaux. Frère Humilis devait être seul dans son cabinet particulier, puisqu’il avait envoyé frère Fidelis se livrer à une tâche plus amusante au jardin, sinon rien n’aurait pu pousser le garçon à le laisser. Cadfael avait d’abord pensé à aller rendre une petite visite au premier chantre et à passer un quart d’heure agréable à bavarder avec Anselme avant que sonne la cloche des vêpres ; peut-être s’entretiendraient-ils de musique ? Mais il se rappela le jeune muet à qui son maître avait accordé un moment de détente au verger parmi ses pairs ; cela le troubla quand il pénétra dans le cloître et le visage maigre de frère Humilis, secret, dominant sa souffrance dans sa solitude hautaine lui passa devant les yeux. A moins qu’il ne s’agisse d’une solitude beaucoup plus humble. C’est l’humilité qu’il avait revendiquée et c’est par elle qu’il voulait être accepté, exigence considérable pour quelqu’un d’aussi célèbre car nul en ces lieux n’ignorait sa réputation. S’il voulait y échapper en se montrant aussi discret que son serviteur, il s’était cruellement trompé.

Renonçant à aller voir Anselme, Cadfael se dirigea au contraire vers l’allée nord du cloître, là où le soleil réchauffait encore à cette heure les cabinets particuliers du scriptorium. On avait attribué à Humilis un bureau où la lumière donnait en premier et s’attardait jusqu’au soir. L’endroit était très calme, les sons discrets du petit orgue d’Anselme paraissaient très lointains, étouffés. L’herbe de la cour se dressait pâle et sèche, malgré un arrosage quotidien.

Cadfael appela tout doucement frère Humilis depuis l’entrée du cabinet.

Le parchemin avait été repoussé de travers, un petit pot d’or avait répandu son contenu en tombant par terre. Frère Humilis était affalé sur son bureau, le bras droit tendu pour se retenir au rebord de bois, tandis qu’il s’étreignait l’aine de la main gauche, se pressant fortement le flanc du poignet. Sa joue gauche reposait sur son travail et il s’était taché de bleu et d’écarlate ; il avait fermé les yeux, les crispait pour tenter de contenir la douleur qui l’envahissait, sans toutefois émettre le moindre son. S’il avait gémi, ceux qui travaillaient dans les parages l’auraient entendu. Ce dont il souffrait, il le gardait pour lui. On ne le changerait pas de sitôt.

Cadfael le soutint avec précaution, évitant de déplacer les bras. Les paupières veinées de bleu se soulevèrent dans les orbites creusées et deux yeux brillants, intelligents, voilés par la souffrance, le dévisagèrent.

— Frère Cadfael...

— Reposez-vous un moment, conseilla ce dernier. Je vais chercher Edmond... Le frère infirmier.

— Non, mon frère ! Emmenez-moi... m’allonger. Ça va passer... ce n’est pas nouveau. Mais allez-y tout doucement ! Je ne tiens pas à me donner en spectacle...

 

Il serait plus rapide et plus discret de l’aider à emprunter l’escalier qui servait aux matines pour l’emmener à sa cellule, dans le dortoir, plutôt que de se rendre à l’infirmerie en traversant toute la grande cour, et il semblait tenir particulièrement à éviter de semer la panique autour de lui. Il se leva en faisant appel plus à sa volonté qu’à ses forces physiques, pesant de tout son poids contre l’épaule de Cadfael qui l’entourait de son bras robuste. Ils passèrent inaperçus dans la pénombre fraîche de l’église et montèrent lentement l’escalier. Etendu sur son propre lit, Humilis s’abandonna aux soins de Cadfael, avec un morne et patient sourire, sans élever la moindre protestation quand ce dernier le dépouilla de son habit et découvrit la traînée oblique de sang et de pus mêlés qui marquait sa hanche gauche sous le pantalon de toile et descendait jusqu’à l’aine.

— Ça se rouvre, murmura-t-il d’une voix à peine audible. De temps à autre, ça suppure – je sais. Cette longue chevauchée... Pardonnez-moi, mon frère, pour cette odeur atroce.

— Il faut que j’aille chercher Edmond, dit Cadfael, détachant le cordonnet et dégageant la chemise, sans découvrir encore la plaie qu’il y avait en dessous. Le frère infirmier doit être mis au courant.

— Bon... mais personne d’autre. C’est absolument inutile.

— A part frère Fidelis. Il sait tout, j’imagine.

— Oui, tout ! souffla Humilis, avec un sourire las et affectueux. Il n’y a rien à craindre de lui, même s’il pouvait parler, il ne dirait rien, mais il connaît parfaitement mes souffrances. Laissons-le tranquille jusqu’à la fin des vêpres.

Quand Cadfael le quitta, il avait les yeux clos et semblait un peu soulagé. Le vieux moine descendit chercher Edmond qu’il trouva juste au moment où il se rendait à l’office.

Remplis de prunes, les paniers étaient disposés le long de la haie du jardin ; les ramasseurs, eux, devaient déjà se trouver à l’intérieur de l’église, après de hâtives ablutions. C’était mieux ainsi, frère Fidelis n’apprécierait peut-être guère que d’autres s’occupent de son maître. Mais s’il voyait que celui-ci allait mieux et qu’on avait bien pris soin de lui, il ne se froisserait pas. Cette méthode en valait bien une autre pour gagner sa confiance.

— J’étais sûr qu’on aurait besoin de nous avant longtemps, dit Edmond, précédant Cadfael et montant quatre à quatre l’escalier des matines. De vieilles blessures, tu crois ? Alors tes connaissances seront plus utiles que les miennes, ce domaine t’est familier.

La cloche était redevenue silencieuse. Ils entendirent les premières notes de l’office s’élever doucement de l’intérieur de l’église en entrant dans la cellule du malade qui souleva lentement, péniblement les paupières, et leur sourit.

— Je suis désolé, mes frères, de vous donner tant de mal...

Ses yeux creux se voilèrent de nouveau, mais il était parfaitement conscient et se laissa docilement ausculter.

Ils écartèrent le linge et découvrirent un corps qui n’était plus que ruine. Une sorte de carte au dessin erratique de tissu cicatriciel s’étendait depuis sa hanche gauche où les os étaient restés intacts par miracle, traversait obliquement le ventre et s’enfonçait profondément dans l’aine. Sa couleur avait la pâleur de la chaux avec des stries profondes, là où l’homme avait été à demi éventré, mais la plaie s’était bien renfermée. Vers la partie supérieure en revanche, elle flambait toute rouge et irritée, l’inflammation du ventre s’ouvrait sur les lèvres humides d’une blessure d’où sortait une humeur nauséabonde et une légère traînée de sang.

La croisade avait valu à Godfrid Marescot une infirmité irréparable sans cependant mettre ses jours en danger. Les lépreux sans mains ni visage qui se traînent jusqu’à Saint-Gilles, songea Cadfael, ont un sort aussi peu enviable. Il marquait le terme d’une lignée ; cette noble plante serait désormais incapable de porter des fruits. Car enfin, à quoi bon être un homme si on a perdu sa virilité ?

Un insondable mystère
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